Etape France – Sud Portugal

En 1983, the big “ras le bol”.

Je décide de quitter mon “statut social” et d’endosser celui de…rien, car c’est celui qui vous revient quand vous n’êtes même plus un numéro de sécu.

Je vends MYOS, mon bon vieux Sanderling et achète MAYA, qui est le nom comme chacun sait, (du moins je le croyais) d’une des civilisations précolombiennes et non pas uniquement d’une abeille…

Avec ce “Rêves d’Antilles de 12 m, en alu, sérieux (qui a dit plus que moi ?), nous partons ma femme et mes 3 enfants pour… Les alizés.

Avec le recul, des endroits superbes le long des côtes Espagnoles et Portugaises me reviennent souvent en mémoire
C’est de quelques-uns de ceux-là que je vais vous parler dans cette première étape.
Malheureusement, beaucoup de photos ont disparu et beaucoup ne figureront-pas ici.

Les îles Sisargas

À 20 miles à l’Ouest de La Corogne, au nord ouest de l’Espagne, ce groupe d’îles est pratiquement pas connu des voiliers de passage qui les contournent par le nord !
Pourtant, elles offrent un mouillage convenable à l’exception du suroit.

L’accès par la grande passe à l’Ouest est aisée, mais celle à la côte, par l’Est ne demande pas beaucoup plus d’attention, si ce ne sont les eaux très claires dans ce coin, qui vous font découvrir les fonds rocheux, mais à plus de 10 m et vous procurent quelques frissons.

L’île principale, haute d’une centaine de mètres, abrite un important phare maritime
et offre un magnifique observatoire, tant du mouillage que du large.
Sur la photo ci-dessous, vous pouvez vous en rendre compte et noter le passage, presque comblé à marée haute, entre 2 des îles.

Si vous aimez les oursins, il suffit de plonger
dans 2 m d’eau…

Évitez de venir les WE, beaucoup d’Espagnols aiment y pique-niquer
et, même si on les aime bien, le calme n’est plus assuré… 

San Martino de Porto

Peut-être avez-vous déjà repéré cette petite baie en forme de coquille ?
Pour cela, il faut être venu dans ce coin par la route, car de la mer elle est invisible !

Situons là:
La côte Portugaise, Péniche au sud à quelques miles, Nazaré au nord guère plus loin.

Vu ?

Pourquoi venir là? 
Simplement parce que les guides nautiques le déconseillent.
Dans celui qui m’a inspiré, il était mentionné l’histoire de ce bateau anglais venu mouiller là et qui ne put en sortir avant de longs jours. 
La raison est simple, une passe étroite, 100 m environ de large, 3/400 m de long, au milieu de 2 falaises rocheuses qui, lorsqu’elle se fâche, bouillonne et déferle, la rendant infranchissable.
Enfin presque.
Sympa non ?

 Nous naviguions sur une mer extrêmement calme. Vers 23 H nous avions dépassé Nazaré
et avancions péniblement vers Péniche et le souvenir de San Martinho me revint.
Bien sûr la curiosité fut la plus forte.
Peu de vent, une belle lune, aussi je m’approche de la passe d’entrée avec prudence.
Je repère les feux (faibles) d’alignement et, la main sur le frein, je pointe l’étrave de Maya
entre les 2 falaises lugubres… Maya glisse tout seul, comme dans un lac,
vers quelques petits copains pêcheurs au mouillage.

A 3 H du matin nous dormons, à 6 H nous dansons!

C’est vers 10 H que j’ai pris la photo ci-dessus. Ce bateau de pêche sera le seul à tenter et réussir la sortie ce jour-là.
Peu après, je remarque un bateau de sauvetage de la marine portugaise qui se place
face à la passe et, moteurs à fond, s’y engouffre à plus de 30 nœuds, percutant les déferlantes et disparaissant hors de notre vue, pour réapparaître 10 mn plus tard, une barque de pêche amarrée à son flanc, le pêcheur embarqué sur la vedette.
Impressionnant !

Pendant plus de 2 H, il rentrera toutes les barcasses qui ne peuvent pas, bien entendu, franchir seules cette passe.

Je me rends au quai de la marine afin de prendre contact avec le capitaine de la vedette.
Il me confirme que le phénomène de cette passe est inexpliqué et n’est pas lié à l’état de la mer, qui est du reste très calme 500 m dehors !
Bien sûr, il me déconseille de sortir, mais est incapable de me dire quand la passe sera praticable.
Il me précise seulement que la meilleure heure est l’étal de pleine mer.

Le lendemain matin, dès le réveil, j’observe la passe et note qu’elle déferle toujours, mais moins me semble-t-il ; par contre il y a du brouillard. Je retourne au quai de la marine
car il y a un tunnel percé dans la falaise que vous voyez à droite de la passe.
Ce tunnel permet d’aller observer ce qui se passe à l’extérieur.
Le brouillard empêche de voir à plus de 100 m, mais ce que je note, c’est que le milieu de la passe ne déferle pas et que la mer ne semble pas grosse.

Je décide de tenter une sortie.
Bien sûr, c’est un début de mutinerie de la part de mon équipage familial.
Nous convenons que seul mon fils aîné m’accompagnera ; du reste ça l’amuse et que nous nous retrouverons à Péniche.
Nous nous plaçons face à la passe et observons.
Depuis leurs bateaux les pêcheurs nous font signe qu’on est fous.
La houle énorme ne “casse pas” au centre, sur une largeur d’environ 20 m.
Je compte le rythme de cette houle.
Il y a une ondulation plus forte que les autres toutes les 5 ondulations.
Je demande à Olivier de se placer à l’étrave avec une mission double :
D’abord avoir un œil vers l’arrière de Maya, rivé sur l’alignement à terre de la passe,
puis vers l’avant, afin de scruter à travers la brume tout danger éventuel.
De cette façon, je peux me concentrer sur la manœuvre et sur mon compas pour ne pas
m’écarter du milieu, car les côtés de la passe sont pavés de roches.
La forte ondulation passée, je pousse à fond le moteur et Maya bondit dans ce chaos.
Tout se passe très vite. Nous nous croyons à la foire du trône dans un manège de montagnes russes.
Cela dure quelques minutes et, 500 m plus loin, tout devient calme !

Nous avons Olivier et moi, un sentiment de frustration ; nous pensions que cela aurait été plus dur…


Je suis retourné récemment  à San Martinho, mais par la route.
La passe était calme et il n’y avait plus de barques de pêche.
Un port bien accessible et abrité s’est construit à Nazaré et tout le monde a migré là.
Nazaré offrait, à l’époque un spectacle superbe ; les pêcheurs rentraient en barcasses
directement sur le sable. Ils devaient franchir au bon moment les rouleaux et,
aidés par d’autres qui les attendaient sur la plage, tirer leur embarcation au sec.
Il ne reste plus sur la plage que les poissons qui sèchent.

Faro

La nuit est tombée lorsque Maya se présente dans la passe d’entrée de la lagune de Faro.
j’ai eu quelque mal à repérer le phare d’accès.
Nous suivons vaguement un chenal, mais on se croirait plutôt dans un tunnel sans éclairage…
Michèle est à la barre afin de me permettre de surveiller en permanence la carte et le sondeur. Je cherche à prendre la voie remontant vers la ville de Faro.
Elle est normalement balisée, mais les bouées lumineuses sont discrètes.
Je ne suis pas particulièrement inquiet, car les fonds sont de vase, enfin en principe…
A 3 ou 4 reprises, Maya se plante. Je le dégage sans difficulté, mais je dois chercher à chaque fois le bon passage.
Une heure plus tard, je repère 2 voiliers au mouillage et, presque aussitôt Maya s’enlise à nouveau, mais cette fois-ci nous sommes arrivés au bout du chenal navigable à cette heure de la marée.


Nous jetons l’ancre. Le calme est extraordinaire

Mardi 18 octobre 1983.

Artémis de Pythéas

Les 2 voiliers à côté de nous semblent désertés par leur équipage.
L’un d’eux attire mon attention ; il s’appelle “Artémis de Pythéas”.
C’est une magnifique goélette, plus longue que Maya,
et ce bateau me dit vaguement quelque chose.
Dans l’après-midi une annexe en bois s’amarre à contre de notre bateau.
Pierre Tangvald et son fils Thomas viennent nous saluer.
Ça y est, je sais qui ils sont maintenant, j’ai lu leur histoire
ainsi qu’un des livres que Pierre a écrit.

Nous décidons d’aller ensemble faire une balade jusqu’à la plage à 2 km environ de là.

Mon fils Mathieu et Thomas ont le même âge et sont ravis de se rencontrer.
Ce n’est pas tous les jours qu’ils ont des petits copains avec qui s’amuser.
De notre côté nous sommes ravis d’écouter Pierre nous parler de ses voyages
et de sa dramatique odyssée.

Pierre Tangvald

Né en Norvège, élevé en France et de nationalité américaine, Pierre navigue depuis 1957
sur des bateaux qu’il a construits lui-même, en bois, dépouillés de tous artifices :
pas de guindeau, pas de moteur, pas de winches, pas d’électronique et pourtant,
Artémis de Pythéas pèse 13 tonnes et la voilure dépasse allègrement les 100 m2 au près.
Il possède par contre une superbe moto, démontée et rangée dans sa chambre !

Après plusieurs tours du monde et plusieurs mariages également, Pierre est ici à Faro,
sa femme actuelle, Ann, étant à la clinique. Elle vient d’avoir une petite fille, Carmen.
De nationalité malaisienne, Ann s’était vue refuser pour des questions de visas la possibilité d’accoucher en Espagne, mais le Portugal ne s’y était pas opposé.

Thomas a perdu sa maman, Lydia, le 20 février 1979 ; il avait 3 ans environ, c’était en mer de Chine. Pris à partie par un bateau pirate, sa mère aurait voulu se défendre en prenant un fusil
et se serait faite tuer. Pierre n’aurait eu la vie sauve que grâce à Thomas qui se serait précipité en pleurant dans ses jambes…

2 ans plus tard, au large de la Tunisie, nouvel incident, Ann, je crois est blessée là encore par des pirates…

Ces péripéties ont été relatées par bon nombre de revues nautiques,
à la suite des livres que Pierre a écrit sur ces affaires.

Ann carmen Pierre

Ann regagne le bord avec Carmen le 19 octobre 83.

Nous sommes invités à bord, ainsi que l’équipage américain de l’autre voilier au mouillage, Tera, qui a pavoisé le nom de Carmen en code pavillonnaire international.
Ann a préparé du thé, Tera un gâteau et Michèle a tricoté un gilet de berger pour le bébé.
L’ambiance est feutrée, cordiale, mais Ann est distante, ailleurs…

Nous apprendrons quelques mois plus tard qu’Ann n’est jamais arrivée aux Antilles.
Un paquet de mer l’a faite basculer par dessus bord 2 jours avant Fort de France, en janvier 84. L’enquête de police aboutira à un non-lieu.

Plus tard encore, par la troisième femme de Pierre, une Française résidant dans le sud de la France, nous saurons que Pierre a péri en mer, le 22 juillet 1991 le long de la côte des Antilles néerlandaises, Bonaire Island.
Selon un navigateur américain, son fils Thomas le suivait sur un autre voilier;
ils longeaient la côte et Thomas a vu Artémis de Pythéas bifurquer brusquement vers la côte et aller se fracasser sur les rochers.
C’était la nuit et les recherches impossibles.
Pierre aurait eu quelques soucis cardiaques et il est possible qu’une crise lui ait été fatale.

J’ai rencontré pas mal d’équipages ayant bourlingué, eux aussi en mer de Chine ; aucun ne croit vraiment à ces histoires de piratage, pourtant possibles.
Je garde de Pierre l’image d’un homme discret, simple, calme.
Son regard ne reflétant par contre que l’immensité.
Ses rapports avec son fils nous ont toujours surpris.
Omniprésent, angoissé, à la limite de la paranoïa.

Pierre a écrit sur mon livre de bord la dédicace suivante :

Quelques années plus tard, un journaliste parlant de lui,
notait que Pierre lui avait écrit… la même dédicace.

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4 réponses sur “Etape France – Sud Portugal”

  1. Pierre Tangvald est une rencontre assez étonnante. Je reste toujours avec des points d’interrogation à son sujet.

    1. Bonjour,
      Je suis la fille cadette de Pierre Tangvald. Je n’arrive pas à vous contacter via le formulaire. Pourriez-vous m’écrire un courriel pour que je puisse vous contacter s’il-vous-plait?

      1. Bonjour Virginia
        J’ai bien reçu votre commentaire et votre adresse email.
        Je vais donc utiliser l’email, plus confidentiel.
        Amicalement
        Yvan

  2. Intéressante cette rencontre avec Pierre Tangvald . J’ai eu envie d’en savoir plus, et grâce à Internet j’ai pu accéder à le revue n° 316 du Chasse-marée .
    Je continue ma lecture …

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