Banyuls, Tiens, voilà les douaniers…

5 novembre 1984
Toc, Toc, Toc, Toc, Toc, Toc !
Je finis par émerger, complètement abruti.
Pas de doute on frappe. Il est 7 heures.
Voilà les douaniers.
C’est quand même extra, après un an et demi de voyage à l’étranger, être sorti du lit par un képi pour présenter ses papiers, il y a mieux.
Écoutez messieurs cela fait deux jours que je me bagarre avec la mer. Je suis arrivé tout à l’heure – s’il vous plaît, laissez-moi dormir. Soyez assurés que je ne repartirai pas aujourd’hui vu le temps.
Désolé, vos papiers.
Aucun douanier étranger, même les Portugais pas toujours très cools a manqué autant de tact. Tout navigateur est un bandit en puissance – c’est ainsi en France.

  • Vous n’avez pas acquitté votre taxe de navigation ?
  • Non. J’ai fait une demande d’exonération, car j’ai résidé un peu plus d’un an hors de France.
  • Avez-vous la réponse ?
  • Si elle me suit de poste restante en poste restante elle finira bien par me rejoindre.
  • Je vais m’informer.
    À plus tard Messieurs les douanier et attention aux filières.
    Deux heures plus tard mes duettistes ne sont plus seuls. Un gradé les accompagne.
  • Monsieur nous avons téléphoné à votre quartier Maritime, mais désolé il ne vous accorde pas l’exonération demandée.
  • Pourquoi ?
  • Vous deviez faire une demande avant de partir en donnant votre lieu de résidence à l’étranger.
  • Mais enfin ma résidence à l’étranger, c’est mon bateau, les ports ou je suis en escale, ce n’est pas quelque chose de prévisible à l’avance.
  • Peut-être, mais dans ce cas, nous ne pouvons pas avoir la certitude que vous êtes resté un an hors de France.
  • Attendez, attendez… mais j’ai mon livre de bord ou tout est réglementairement consigné conformément aux règlements maritimes.
    Regardez tout y est.
  • Ce n’est pas valable pour nous. Ceci concerne les Affaires Maritimes.

    Yvan tu te calmes – Tu n’as pas le droit de taper sur ces trois épouvantails. Respires t profondément. Là, voilà.
  • Bien Messieurs, alors que fait-on maintenant ?
  • Il vous faut payer, faute de quoi votre bateau sera consigné ici.
  • Je n’ai pas 2.500 FR.
  • Faites-nous un chèque.
  • J’ai un chéquier, mais pas un sous sur mon compte. Je rentre pour travailler et sans le mauvais temps, je serais à Sète pour trouver une activité.
  • Nous avons reçu des instructions. Nous ne pouvons pas vous laisser partir.
  • Bon – Alors, dites-moi – Vous consignez le bateau, mais puis-je l’habiter ?
  • Euh ??? Bien oui… mais…
  • Ouf, je suis rassuré, car vous comprenez, je n’ai pas d’autre habitation. Je vais donc chercher du travail ici à Banyuls pour pouvoir vous payer.
  • Mais il n’y a pas de travail ici.
  • Vraiment ? C’est insoluble cette affaire.

Mes trois lascars, qui en fait ne sont pas de mauvais bougres, sont embarrassés. Intérieurement, je commence à rigoler de la situation. J’en rajoute.

  • Dites-moi, est-ce payant ce port.
  • Oui bien sûr, il faudra passer à la Capitainerie.
  • Ainsi si je ne peux pas les payer, ils vont vouloir me virer ?
    Un ange passe.
    Écoutez, nous sommes bien ennuyés, mais nous avons reçu les instructions de notre Direction de Perpignan et nous sommes obligés de nous exécuter.
  • Je comprends bien – Faites.
    Un autre ange passe – conciliabule.
  • Il y a peut-être une solution.
  • Je vous écoute.
  • Voilà, vous nous faites un chèque de 2.500 FR., nous le faisons traîner quelques jours puis nous le transmettons à Perpignan qui pourra le retarder aussi quelques jours avant de l’envoyer à votre Quartier Maritime.
    Comme ça on peut vous laisser partir et vous avez trois semaines pour trouver de l’argent ou faire appel à votre famille.
  • Vous êtes sympas, mais vous vous rendez compte, vous me demandez de vous faire un chèque sans provision ?
    C’est impossible.
    Un troisième ange passe – Il rigole le bougre, moi aussi.
  • Non vraiment Messieurs, je ne peux pas faire une chose pareille. Un chèque en bois aux douaniers ? Vous vous rendez compte de ce que vous me demandez. Non assurément, je crois que je vais chercher un boulot ici. J’ai des provisions pour un moment et un toit.
  • Mais enfin ce n’est pas un chèque sans provision que vous allez nous faire. Il ne serait sans provision que si dans trois semaines vous n’avez pas pu mettre d’argent sur votre compte.
  • C’est bien cette éventualité qui m’embête aussi.
  • Oui, mais à Sète vous devriez trouver facilement une activité. Là-bas il y a la pêche, le bâtiment puis c’est une grande ville – Montpellier n’est pas loin non plus.
    C’est superbe de les voir se relayer pour me convaincre. En voilà trois qui se demandent ce qu’ils sont venus faire dans cette galère.
    Je finis pour leur rendre service et faire un chèque. C’est vraiment pour eux un soulagement et visiblement ils ont hâte de quitter le bord.
    J’hésite à me recoucher quand arrive le Capitaine du port.
  • Vous restez quelques jours ?
  • Sûrement, car avec le mauvais temps ce n’est pas raisonnable de sortir.
  • OK c’est 60 francs par jour.
    C’est reparti.
  • Je n’ai plus d’argent. Pouvez-vous au moins jusqu’à demain m’accorder l’asile en franchise ?
  • Ce n’est pas prévu.
  • Vous n’avez pas la courtoisie des Bretons. Chez nous, la première nuit est gratuite.
  • Ici non.
  • Dites-moi, je crois reconnaître dans votre façon de parler un accent de là-bas.
  • Oui, je suis du Maroc.
  • Moi aussi.
    Alors pas de problème pour aujourd’hui c’est bon, mais pas plus.
  • OK merci, c’est sympa. Dites-moi, est-ce payant à Port-Vendres.
  • Il y a des places libres à quai.
    Je passe une partie de ma journée à réparer ma drisse de grand voile et demande un bulletin météo. Le N.-O. souffle toujours, mais l’avis de tempête valable pour les 48 heures à venir annonce un vent de nouveau S.E.
    Pas de doute, si je ne veux pas dépenser mes derniers sous en frais de port, il est temps de lever l’ancre.
    Port-Vendres c’est juste derrière le cap, soit une paire d’heures sous la protection des falaises – Je pars.
    Adieu Banyuls ton accueil m’a touché.

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