28 mars 1985.
Cassiopée en Guyane, la Tortue, Arthémis de Pithéas, Petit-Jonathan, Lou-Larsen aux Antilles. Flanneur, avec 2 n, quelque part vers Dakar en train de se shooter au Tam.
Norwena au Brésil. Mariava qui exauce peut-être son vœux, ancré à Tristan-da-Cuhna.
Et encore, Aragorn rentré en France depuis 6 mois, Gwin-Ru depuis 4 comme moi.
En suivant les copains au fil de leur correspondance ou en relisant notre livre de bord, je peux encore m’y croire ; ce n’est qu’un entracte, nous allons repartir.
Pour l’instant il faut attendre que les enfants aient 18 ans, profiter de ce délai pour “faire un peu d’argent” et hop on largue à nouveau les amarres… ouais…
Plus les jours passent sans apporter de solutions nouvelles, plus j’angoisse.
Je me sens à nouveau aspiré par la “Grande Mécanique”.
Je n’ai rien trouvé comme petits boulots qui me permettraient de vivre gentiment, d’entretenir le bateau, de compléter les matériels manquants alors, petit à petit je me remets à penser que, probablement, il vaut mieux réinvestir dans un emploi qui rapporte et de fixer un nouveau départ dans 3 ou 4 ans, et, le doigt se reprend dans l’engrenage.
Pour un travail sérieux, il me faut des vêtements adaptés, alors je m’équipe à la mode (enfin presque), puis il faudra acheter une nouvelle voiture, l’assurer et si le boulot marche bien on pourra bien s’offrir de temps en temps une petite bouffe au resto, un petit film, une petite semaine aux sports d’hiver.
La pression de conformité aidant on se confectionnera un bel habit social duquel il sera de nouveau difficile de s’extraire.
J’avais appris au cours de ce voyage à vivre au présent, j’en suis déjà à ne penser qu’à ce qui se passera demain et bientôt à après-demain avec au bout le retour au stress et M….
Je guette tous les jours le facteur espérant recevoir une réponse, favorable pour un emploi et, dès son passage, je me prépare à attendre le suivant.
Quand Michèle n’est pas à son travail ça va mieux, car elle se plaît dans sa campagne, elle a toujours envie de faire quelque chose. Comme elle ne peut pas tout faire, je suis investi de missions de confiance que je ne mène à bout, que si je reçois quelques impulsions, mais le temps passe ainsi plus vite.
En fait je n’ai aucune envie de produire et, si par hasard je veux faire quelque chose je ne trouve pas le matériel ou les outils, car ils sont restés à bord.
L’ennui et le découragement me gagnent. Je crois que si je n’ai pas de propositions de travail, c’est aussi que j’ai 45 ans et qu’il est évident à la lecture des annonces que c’est un âge canonique.
Monter mon entreprise ?
Là je pense que c’est l’aliénation totale ; Déjà en tant que salarié je ne sais pas me limiter à 39 heures/semaine, alors j’imagine comme patron. Une entreprise n’est que rarement rentable la première année, alors comment concevoir un nouveau départ dans 2 ou 3 ans quand la rentabilité arrivera si les options ont été bonnes ?
Et puis cela m’obligerait à vendre Maya et compte tenu des prix des bateaux actuellement, il serait inconcevable d’imaginer pouvoir en racheter un plus tard. Je n’aurai pas toujours une maison à vendre.
La chatte doit sentir que je ne tourne pas rond depuis quelque temps. Elle ne me quitte pas, même au WC il faut qu’elle soit sur mes genoux. C’est certainement un signe d’inquiétude de sa part, car j’avais déjà remarqué lorsque nous étions à bord, qu’à chaque manœuvre d’arrivée ou de départ, une situation qui modifiait le rythme paisible des navigations, il fallait qu’elle soit dans mes bras ou sur mes épaules. C’est adorable, mais pas vraiment pratique quand on est seul à manœuvrer. Pourtant, je note que, petit à petit, elle agrandit son territoire, visite les alentours, s’habitue à la terre ferme. Elle s’habituera tellement que quelques mois plus tard elle sera prise dans un piège à mâchoire posé par quelque abruti, à 200 mètre de la maison.
Paysans et chasseurs m’expliqueront que le chat est un prédateur et qu’il est nuisible ou qu’il concurrence vu le peu de gibier.
De temps en temps, je m’excite sur une annonce et réussi à me mettre dans la fonction proposée. Je sens alors l’énergie revenir, l’espoir aussi et c’est, comme pour un malade à qui le médecin annonce qu’en fait ce n’est rien de grave, la forme revient rapidement.
Quelque temps après la réponse arrive, négative et je “maussade” en attendant la bouffée d’oxygène suivante.
Je regarde souvent vivre mon gamin, Mathieu, qui, scolarisé par correspondance, s’organise des temps libres ; jamais il ne s’ennuie. Il sort, fait du vélo, va pêcher, revient, lit, bricole, conçoit des stations orbitales avec ses légos, écoute de la musique. Bien sûr, de temps en temps souhaiterait-il que je joue avec lui, mais je n’ai jamais su jouer à ses jeux aussi allons-nous nous promener dans la campagne. C’est tout ce que je suis capable de lui apporter.
8 Avril –
Je suis convoqué pour un emploi à Paris, Youpi !.
Je cours m’inscrire à l’ANPE comme demandeur d’emploi car, paraît-il, on peut me payer le déplacement !
Quelle dérision, me voilà pris en charge par la société.
C’est bien la première fois en 25 ans d’activité professionnelle.
Je suis agréablement surpris par l’accueil que me réserve cet organisme.
Je l’imaginais sombre, vétuste, sordide même, et voilà que j’y trouve des locaux neufs, spacieux, clairs. Le personnel n’est pas très compétent dans l’ensemble, mais aimable ; ceci est déjà un élément important quand vous venez dans ces lieux, la queue basse de celui qui aurait une maladie honteuse à avouer et qui constaterait que personne ne semble le remarquer ou que son cas serait traité comme on le ferait pour un problème bénin dont la guérison ne serait qu’une question de jour.
Après tout, ne sommes-nous pas près de 3 millions de chômeurs ?
J’ai même droit à une Agence Spécialisée pour le cas des Cadres et un Service Logistique, remarquable d’organisation, pour entrer en contact avec les “offreurs” d’emploi. C’est parfait, sauf que c’est inefficace
Toujours est-il que je ressors de l’ANPE – CADRE – avec un beau numéro d’identification, tout neuf, bien à moi qui atteste que socialement j’EXISTE à nouveau.
J’ai en poche un bon de transport SNCF, voyage en première classe, indemnité de journée et tout et tout.
Me revoilà donc dans le train au milieu de Messieurs les Cadres Supérieurs, les Techniciens de tous poils, les fonctionnaires, mais aussi depuis quelque temps, une nouvelle race de grands voyageurs : les Syndicalistes partant changer la façade des usines, attaché-case à la main bourré de rapports que l’on annote comme tout le monde au Stabilo.
Tout ce beau monde laissant dédaigneusement un reste de saumon dans l’assiette, car voyez-vous mon cher, il ne vaut pas celui de chez Henry LESNEVEL à Plougasnou.
Je n’ai pas eu droit au saumon, ce qui fait que j’étais léger pour aborder l’entretien d’embauche. Je n’ai eu qu’à écouter un brave HEC content de lui, parler de lui, accessoirement de son entreprise néanmoins Leader – sur – un – marché – porteur.
À l’issue de son monologue, je n’avais pas vraiment décelé chez le bougre de motivations particulières pour écouter parler les autres, je savais tout, mais avais perdu toute envie de me déployer en artillerie pour lui démontrer que j’étais le meilleur placement qu’il puisse faire.
J’ignore sur quel critère il a fait son choix ; peut-être a-t-il retenu celui qui l’a le plus attentivement écouté, le visage béat d’admiration devant une telle compétence, un tel sens des responsabilités et pourtant un tel souci d’humilité quoique, quand même, l’entreprise lui devait ses résultats – c’est évident.
Allez tout n’est pas négatif dans ce premier contact, malgré mes 45 balais, mon C.V. a au moins intéressé une entreprise.
Du coup, j’expédie une dizaine de lettres de candidatures de plus.
Je me suis confectionné un beau tableau de bord ou je consigne toutes mes démarches de recherches d’emploi, avec les dates d’envoi de mes courriers, les dates de réponse quand il y en a et le % de réponses. Quand je trouve le temps long, que je déprime, je le consulte, établit des probabilités de réponses pour les jours à venir et c’est avec l’immense satisfaction que vous devinez, que je coche la case, négative peut-être, mais à la date prévue.
Ah mais…
Juin 1985, je redescends à Sète récupérer Maya et nous fonçons vers Menorca où Michèle et Mathieu me rejoindront en Juillet.
C’est en novembre, et par relation, que je retrouverai un emploi.
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