Dimanche, 3 novembre 1985
Voyons, que dit la météo ?
Vent de secteur sud-est – avis de grand frais pour la nuit sur la zone Lyon – coup de vent force 8 à 9 pour lundi.
Comme d’habitude, je ne retiens du bulletin météo que ce qui est susceptible de conforter ma décision de quitter Minorque. Aujourd’hui à 11 heures le vent est au secteur S.E. Avec un peu de chance, l’arrivée du mauvais temps sera retardée et avec un vent arrière être en vue de Sète quand ça se gâtera.
Pour l’instant le vent est faible, mais déjà au S.E. ; la mer est méditerranéenne…
Dans l’après-midi, la drisse de grand voile casse au niveau de la fixation du mousqueton et par son propre contrepoids descend à l’intérieur du mât.
Impossible de réparer en mer. C’est déjà suffisamment délicat au port. Une seule solution envisageable consiste à monter en tête du mât, gréer une poulie et passer une drisse extérieure en Nylon.
10 min là-haut c’est très long. Je n’aurais pas le souffle pour recommencer cela aujourd’hui. Monter à l’aide des échelons de mât est relativement aisé mais, se maintenir d’une main pendant que l’autre essaye de fixer une manille avec des embardées de plusieurs mètres est vraiment une folie à ne jamais renouveler. Je capitule.
Sur le moment, cela m’avait paru être moins dangereux que d’utiliser la balancine comme drisse, de plus faible section, et de continuer sans rechange, alors que si la météo se confirmait, je risquais, sous un fort vent de S.E., de devoir me dégager de la côte, au près et casser à ce moment-là. C’est pourtant ce que je me résous à accepter comme solution et réussi par contre à gréer une balancine de rechange à partir des barres de flèche, car là encore cela me sera indispensable pour arrimer la grande voile si ça chauffe.
Ce travail terminé, je dois m’allonger au chaud tant je suis nauséeux.
Une heure plus tard, des bruits métalliques provenant de l’étrave me ramènent sur le pont.
Horreur c’est le ridoir que j’ai monté sur l’étai qui s’est entièrement dévissé. L’étai n’est plus retenu que par une chaîne que j’ai installée pour rehausser le point d’amure des voiles d’avant et pour éviter le ragage sur les filières. Cette chaîne solidaire du pont coulisse sur l’étai, mais ne peut pas s’en dégager sans l’ouverture d’une manille, ouf, sinon dans cette mer tout était possible pour mon pauvre mât, c’est du reste ma seule angoisse quand la mer se déchaîne. J’observe souvent le travail du haubanage et les flexions du mât, c’est impressionnant.
L’ensemble est très fortement dimensionné, les fixations sur le pont sont parfaitement soudées et je me demande comment font la plupart des voiliers de séries pour ne pas casser dans le mauvais temps. Il est vrai que pour 90 % d’entre eux, le port est regagné avant que la mer ne se déchaîne. Le vent, même force 10, pendant 2 à 3 heures avant que la mer ne se lève en conformité, n’est pas très dangereux.
En début de nuit, le vent monte très rapidement. Je réduis progressivement la voilure, mais vers 5 heures du matin, je me résous à laisser courir à sec de toile, car Maya tape durement dans une mer plus désordonnée que forte et je souffre pour lui. Tel que, nous marchons à 4-5 nœuds et le comble est que l’Ariès maîtrise l’ensemble.
Comme toujours dans ces cas-là, je reste harnaché, prêt à l’emploi et, me repose allongé parterre dans le carré – humide.
Dans la matinée la mer est moins dure et je remets en route. Le vent constamment aussi fort est un peu plus Est, ce qui m’inquiète ; je ne veux pas me présenter à la côte sans point précis avec le vent derrière. À mon tour de mettre un peu d’Est dans mon cap.
Vers 11 heures, je capte un appel de détresse sur ma VHF – un voilier de 18 m. venant de Marseille à une importante voie d’eau que l’équipage n’arrive pas à localiser. Ils n’ont pas pu entrer en contact avec le Cross Med. Je sers d’intermédiaire. Ils sont à une quinzaine de miles de ma position estimée, mais il est bien évident que je ne peux que leur apporter un soutien moral, car il me serait impossible d’opérer une jonction avec eux sans matériel de localisation précis. Mon sextant est inutile sans soleil. Ils finissent par s’apercevoir qu’ils ont perdu le capot de la baille à mouillage qui n’est pas étanche ! Plusieurs tonnes d’eau seraient dans les fonds à sauter partout. Ils décident de rejoindre le plus vite possible Port-Vendres à environ 50 miles de là. Comment suggérer le contraire quand on sait qu’ils ont une baignoire à la place d’un yacht.
Vers 15 h. le Cross Med m’appelle pour avoir des informations, mais Timoa ne répond plus. J’en profite pour prendre un bulletin météo qui me laisse un moment pensif :
“Vent d’est, sud-est mollissant en fin de journée et passant Nord-Ouest force 8 à 9”.
Rester au large, c’est s’exposer, si le N.O. rentre d’être refoulé vers les Baléares. Je les aime bien, mais quand même.
Je saisis l’opportunité pour foncer à la côte avant la renverse de vent.


À 20 h. je relève le phare du Cap Creux à une dizaine de miles –
À 21 h. le vent tombe, j’envoie le Perkins
À 22 h. le vent passe au N.O. force 5-6.
Je n’ai plus le tonus pour tirer des bords et force le passage au moteur.
A 3 h.30, j’entre, sans carte à Banyuls, dans la mouscaille, c’est impressionnant, mais quel pied d’être à l’abri bien au chaud sous la couette.
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