Mercredi 14 novembre,
Le vent est fort la mer hachée et dure. Il pleut et je barre, car il faut négocier chaque lame tant Maya tape et souffre.
L’étrave fait éclater des paquets d’embruns, l’eau bouillonne le long des passavants, une vague me manque de respect et pénètre partout sous mon ciré. Par bonheur d’incessantes averses s’abattent également, ainsi l’eau douce enlève le sel qui recouvre mon visage. C’est un brin de bien-être de courte durée. J’ai froid, mes muscles me font mal, la barre est dure. Il faudrait que je modifie l’équilibre du bateau, mais je n’arrive pas à m’imposer un changement de voiles d’avant. 10 heures à ce régime sans une minute de calme.
Il y a longtemps que je ne sens plus mon corps. Dans ma tête, c’est le vide.
Un œil, sur les vagues, un œil sur le cap, la dernière étape de ce voyage est lugubre.
Peut-être pour m’éviter le spleen d’avoir à y mettre fin.

J’entre à Sète par la passe Ouest afin de me faire secouer une dernière fois et vient m’amarrer au quai d’attente du pont d’accès de l’étang de Thau.
Pleurer me soulagerait, mais malgré la provision d’eau que j’ai emmagasiné toute la journée, aucune larme ne jaillit.
Je suis glacé dedans, dehors. Mécaniquement, j’exécute les manœuvres de rangement du pont. Maya se prépare à une situation d’immobilité. Pour combien de temps ?
D’un Joshua amarré plus amont, François vient me donner un coup de main et gentiment m’informe que sa compagne est déjà en train de nous confectionner un bon dîner que nous prendrons à son bord dans une chaude ambiance faite de solidarité, de compréhension dont se témoignent, simplement, sans grandes phrases, les gens du voyage. Ils savent ce que je ressens. Ils savent que la fin d’un voyage est une déchirure, un moment dur, mais qui sera bientôt cicatrisé grâce aux remèdes que sont l’imagination, le rêve puis prochainement l’excitation liée à la préparation d’un nouveau projet.
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