La “pêche” aux clients

Nous regagnons Santa Eulalia qui nous a paru être un endroit propice pour notre Charter.
Pas de port, mais une petite digue de roche en cours d’agrandissement, 2 ou 3 voiliers, la ville à deux pas – grands hôtels – grands immeubles, un patio très animé de 21 h. à 24 h. – Tous les ingrédients de la réussite.
Nous mettons des pancartes en espérant qu’elles ne seront pas lues par la garde civile.
C’est le succès !
Très vite les clients arrivent et la galère avec.
Se servir de son bateau, sa maison, pour faire du commerce est odieux.
Très vite nous apprenons qu’il faut être sélectif et le critère de sélection, la nationalité.
Français, Italiens, Go Home.
Belges et Suisses ça te faut pas dire, ça est Korect,
Allemands parfaits.
Déroger à cette règle, c’est s’exposer à beaucoup de soucis.

  • “125 francs par personne avec un repas froid ? C’est cher. Est-ce que vous nous défalquez le prix du repas, car nous avons un forfait vacances, voyage et repas compris à notre hôtel?”
  • C’était bien comme balade, mais vous êtes pratiquement aux prix des Charters Officiels. J’ai envie de vous proposer 100 fr. “.
  • D’accord, mais à ce prix-là vous regagnez le quai à la nage.

J’enrage ; nous sommes à petits soins pour eux de 10 h. à 20/21 h. Il y a longtemps que les “officiels” ont fini leur journée.
Nous n’acceptons que 4 à 5 personnes à bord au lieu de 10 entassés chez les concurrents. Nous nous transformons en G.O. car que croyez-vous qu’ils font lorsque nous jetons l’ancre dans la baie de Tagomago, petite île d’un kilomètre de diamètre, des eaux bleues, une petite plage de sable blond ? Rien.
Ils restent là, plantés sur le pont avant, inanimés.
Plonger, nager, prendre l’annexe pour aller à terre visiter l’île ne leur vient pas à l’esprit.
Comme à l’école, nous devons les rassembler, les emmener promener, leur dire quand il faut s’asseoir, repartir, nager, manger, bronzer. J’ai envie de taper dessus
pipi Monsieur !
Je me suis souvent attendu à cette demande, c’est vous dire… .

20 – 21 h. notre cargaison à terre, nous nettoyons le bateau et à 22 h. nous sommes sur le Patio.
Bijoux, Aquarelles, Gadgets, Saucisses, Frites, caricaturistes, tous nos frères de “misère” sont là et attirent une foule cosmopolite qui profite de la fraîcheur des soirées pour découvrir les merveilles de l’artisanat local oh combien différent de celui de leur pays…!
Il y a là Francis et ses écolines faites en série à Bruxelles,
Christine et ses “Puppets” (poupées de chiffon) préparées pendant l’hiver à Avignon,
Richard l’australien et ses colliers en fil de fer,
Bob le caricaturiste, Américain marié à une Allemande, qui croque 15000 Ptas. (750 F) en 2 heures et n’allez pas lui demander un portrait à minuit et 2 minutes, c’est terminé !
Is’n it ?
Les saucisses frites sont du pays, enfin réchauffées sur place. Etc

Très vite Michèle à trouvé son site de prospection : Bob. Autour de lui, la foule se presse pendant qu’il officie, dégageant à coups de feutre précis les trait marquants du visage de son patient.
Les commentaires vont bon train.
Sourires, rires, ricanements, créent une ambiance détendue que Michèle met à profit pour engager la conversation – Quelle comédienne !

"Oh! Il ne l'a pas manqué celui là, c'est tout à fait son nez. Is'n t'it ?"

"Sure"

"Il est excellent ; c'est la première fois que vous le regardez travailler? Vous êtes en congés à Santa Eulalia ?

Ah oui, le soleil, la mer, le bateau"

""Vous aimez le bateau   parce que nous avons..."

Michèle est fantastique

Moi ? Je la suis, mais vraiment, un an de voyage n’a pas encore réussi à me faire abandonner mon “statut social”. J’éprouve encore une gêne affreuse à aller ainsi solliciter l’aide de tiers. J’ai l’impression de mendier. Quelle connerie ?

À minuit, nous avons notre quota pour les jours suivants et toute la bande se retrouve chez Jacky, cuisinier de métier. Il a ramené d’Angleterre où il a sévi quelques années, son épouse et quelques recettes indiennes.
Vers 2 heures du matin, nous regagnions le bord pour un sommeil récupérateur, court, car dès 7 h.30 nous sommes prêts à aller à terre faire les provisions pour la journée, les clients arrivant vers 9 h. – 9 h.30.
Ajoutons que la semaine de travail dans ce métier, c’est 7 jours et vous conviendrez qu’il faut payer assez cher la liberté tant convoitée que l’on réussit parfois à approcher et dont on jouit avec parcimonie parce que le bateau est là pour nous rappeler qu’il n’est pas question de le laisser tout seul, sans surveillance, pendant longtemps ; le vent se lève parfois très vite, surtout le mistral.

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